Dans le Nord, des familles roms vivent d’expulsions en expulsions

Lomme (Nord). Une ancienne friche à l’angle de la rue d’Hegel et l’allée Julie-Victoire Daubié. Ce lundi, à l’appel du collectif Solidarité Roms, une conférence de presse se tenait en face de l’allée, sur un camp où vivent, précaires, une quinzaine de familles de culture rom. Celles-ci, pour la plupart, sont arrivées après de longs mois d’errance consécutifs au démantèlement du camp des « Pyramides » à Lille le 11 janvier dernier. A l’entrée du camp en ce début d’après-midi, une militante du collectif Solidarité Roms s’étonne de la présence de dominos qui bloquent le passage vers l’allée Julie-Victoire Daubié : « je suis passée la semaine dernière par ici en vélo, je suis persuadée qu’il n’y avait rien, là ».

L’aménagement de l’écoquartier des Rives de la Haute-Deûle (porté par l’aménageur Soreli et la Métropole Européenne de Lille) est en projet sur le terrain depuis 2 ans. Fin juillet, le promoteur immobilier obtient du tribunal un arrêté d’expulsion. Deux recours ont été déposés, dont un cet été par les habitant-es les plus « anciens » du camp. Recours fait auprès de la cour d’appel de Douai, les habitant-es attendent toujours une réponse. Un deuxième recours a également été porté par des familles arrivées plus récemment sur le camp. Une audience est prévue pour le 13 décembre prochain au tribunal judiciaire de Lille. Les habitant-es réclament un délai au promoteur afin de trouver une autre solution d’hébergement.

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Malgré des recours déposés, les habitant-es du camp risquent l’expulsion à tout moment. © Louise Bihan

Une quinzaine de caravanes sont présentes sur le camp, le collectif Solidarité Roms comptabilise une cinquantaine de personnes en tout. L’expulsion est imminente mais, comme dans tous les cas d’expulsion par la force publique ces derniers temps, impossible de connaître la date exacte. Une source de stress pour les habitant-es et les associations qui les accompagnent.

Selon Dominique Plancke, membre du collectif Solidarité Roms, « des travailleurs sociaux de Coallia [une association mandatée par la préfecture pour l’accompagnement social de personnes précaires] sont venus la semaine dernière faire un semblant de diagnostic social en disant que c’était pour proposer du relogement aux familles, mais on sait que ça ne se passe pas comme ça. D’expérience, quand Coallia vient sur un camp, on sait qu’une semaine après il y a une expulsion ».

Le terrain n’est pas très grand, mais assez pour que quelques haies sauvages séparent en deux parties distinctes l’espace goudronné. Majoritairement composée de caravanes, quelques cabanes ont également investis le camp. Comme des petites maisons d’infortunes. C’est dans l’une d’elles que vivent Maria, Petru, et leurs deux enfants, âgés de 9 et 5 ans. Les deux sont enfin scolarisés à l’école depuis quelques mois. La famille a peur que l’expulsion l’oblige à mettre temporairement fin à la scolarité des enfants, car les solutions d’hébergements proposées (quand il y en a) sont souvent bien loin de l’ancien endroit de vie.

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« On appelle souvent le 115 [Samu social] pour trouver une autre solution, au cas où, mais on a jamais de réponse » © Louise Bihan

La famille fait partie des anciens du camp des Pyramides. Pendant de longs mois, le couple et leurs deux enfants ont dû dormir dans une voiture sur un parking à Tourcoing, avant d’obtenir une cabane pour peu de sous grâce à la solidarité des gens du voyage de la région. Cabane que le couple a pu installer sur le camp lommois. Petru, lui, a depuis trouvé un emploi au sein du Centre d’Insertion des Bois Blancs (CIBB), il nettoie les rues 5 jours par semaine. L’ancien pasteur évangéliste, quand il était encore en Roumanie, nous montre fièrement sa carte de pasteur qu’il garde toujours sur lui.

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Petru était pasteur en Roumanie, aujourd’hui il travaille dans une entreprise d’insertion à Lille. © Louise Bihan

Dans le Nord, les expulsions de camps et de squats se multiplient. La plus médiatisée fût sûrement celle de la friche Saint-Sauveur à Lille, qui un camp qui faisait suite à l’évacuation du squat « 5 étoiles » en 2019 (au moment de l’expulsion en août dernier, il ne restait que 8 personnes). La dernière expulsion en date, un camp à Lambersart où vivaient 15 personnes majoritairement de culture rom, a mobilisé un effectif important : la police aux frontières, police municipale, des agents de la métropole européenne de Lille… environ 40 personnes selon Dominique Plancke, qui pointe des « coûts monstrueux ». Pour Jean-François Bonhomme, membre de la Ligue des Droits de l’Homme de Lille, les propositions faites par la préfecture ne sont « pas réalistes » : 3 nuits d’hôtel en moyenne, et des hébergements en foyer pour les mères et leurs enfants avec un seul « droit de visite » sans hébergement possible pour le père qui vit pourtant sur le camp avec sa famille. « Quand les familles ont refusé les propositions d’hébergement, on leur a demandé où est-ce qu’elles comptaient aller. Elles ont répondus : on sait pas, on verra bien. C’est un système sans fin. »

Des expulsions récurrentes et, le plus souvent, inefficaces pour résoudre le problème de l’occupation des lieux. A Roubaix, les habitant-es d’un camp expulsé l’an dernier ont dû retourner sur les lieux quelques temps plus tard, faute d’autre solution. Une situation qui sera sûrement amenée à se reproduire les mois qui viennent, d’autant que, pour les associations, la trêve hivernale s’applique de moins en moins pour les occupations de terrains. La mise en cause de la préfecture est unanime chez les associations. Connu pour sa politique migratoire dure, notamment sur les camps d’exilés à Grande-Synthe, le préfet du Nord Georges-François Leclerc (en poste depuis 2021) refuse tout rendez-vous avec les associations qui accompagnent les exilé-es. Jean-François Bonhomme dénonce l’absence de réponses aux récentes demandes de rendez-vous faites par la LDH au sujet des camps. Du côté de la mairie de Lomme, un rendez-vous avec le collectif Solidarité Roms s’est bien tenu le 11 février dernier concernant le camp de l’allée Julie-Victoire Daubié, mais selon le collectif, rien n’en est ressorti.

La multiplication des expulsions donne lieu à des situations ubuesques rapportées par les associations. Pendant longtemps, il était encore possible pour les habitant-es des camps expulsés de venir récupérer leurs affaires après avoir quitté les lieux. Depuis février dernier, ce n’est plus le cas. Les affaires sont détruites.

Selon Dominique Plancke, « ces destructions deviennent des pratiques systématiques depuis février. Il n’y a pas de garde meubles mis à disposition. Alors, la préfecture appellent des entreprises qui viennent tout raser. »

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Les familles ne peuvent emporter que quelques sacs avant de quitter un camp suite à une expulsion, le reste est détruit. © Louise Bihan

Une situation « contraire au droit » pour Isabelle Fourot, directrice de l’agence régionale Hauts-de-France de la Fondation Abbé Pierre. « Il faut mettre en relation ce qu’il se passe ici avec le nouveau pacte des solidarités et le plan Logement d’Abord 2 [présenté par l’ancien ministre du logement Olivier Klein en Juin dernier] où il n’y a rien sur la résorption des bidonvilles ». Si depuis 2018, un « cadre d’action » piloté par la DIHAL (Direction Interministérielle à l’Hébergement et à l’Accès au Logement) existe bel et bien pour tenter d’identifier le nombre de bidonvilles en France (via la plateforme Résorption-Bidonvilles lancée en 2019) et de les réduire par l’accès au logement pérenne de ses habitant-es, les politiques publiques peinent à suivre. Le Conseil National de la Refondation lié au logement, commandé par le président de la République et qui a rendu ses conclusions en juin dernier, peinait à convaincre les acteurs du secteur. En attendant, plusieurs familles vont d’expulsions en expulsions, espérant un jour pouvoir s’installer dans une maison ou sur un terrain où elles pourront enfin construire un meilleur projet de vie.

Dominique Plancke, de son côté, s’applique à appeler les hôtels afin de savoir si la préfecture a réservé récemment des chambres. Quand c’est le cas, c’est qu’une expulsion est proche. Pas de réponse positive du côté des hôtels aux environs, il souffle : « ça sera peut-être la semaine prochaine… »

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Une militante du collectif Solidarité Roms s’étonne de la présence de dominos qui bloquent le passage vers l’allée Julie-Victoire Daubié : « Je suis passée la semaine dernière par ici en vélo, je suis persuadée qu’il n’y avait rien, là. » © Louise Bihan


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